Une parabole qui invite à penser

Publié le par André Gindorff


LE MUSICIEN DE RUE

Le musicien de rue était debout dans l’entrée de la station L’Enfant Plaza du métro de Washington DC. Il a commencé à jouer du violon. C’était un matin froid, en janvier dernier. Il a joué durant quarante-cinq minutes. Pour commencer, la chaconne de la 2ème partita de Bach, puis l’Ave Maria de Schubert, du Manuel Ponce, du Massenet et de nouveau Bach. A cette heure de pointe, vers 8h du matin, quelque mille personnes ont traversé ce couloir, pour la plupart en route vers leur boulot.

Après trois minutes, un homme d’âge mûr a remarqué qu’un musicien jouait. Il a ralenti son pas, s’est arrêté quelques secondes puis a démarré en accélérant. Une minute plus tard, le violoniste a reçu son premier dollar : en continuant droit devant, une femme lui a jeté l’argent dans son petit pot. Quelques minutes ensuite, un quidam s’est appuyé sur le mur d’en face pour l’écouter mais il a regardé sa montre et a recommencé à marcher. Il était clairement en retard.

Celui qui a marqué le plus d’attention fut un petit garçon qui devait avoir trois ans. Sa mère l’a tiré, pressé mais l’enfant s’est arrêté pour regarder le violoniste. Finalement sa mère l’a secoué et agrippé brutalement afin que l’enfant reprenne le pas. Toutefois, en marchant, il a gardé sa tête tournée vers le musicien. Cette scène s’est répétée plusieurs fois avec d’autres enfants. Et les parents, sans exception, les ont forcés à bouger.

Durant les trois quarts d’heure de jeu du musicien, seules sept personnes se sont vraiment arrêtées pour l’écouter un temps. Une vingtaine environ lui a donné de l’argent tout en en continuant leur marche. Il a récolté 32 dollars. Quand il a eu fini de jouer, personne ne l’a remarqué. Personne n’a applaudi. Seule une personne l’a reconnu sur plus de mille personnes.

Personne ne savait pas ce violoniste était Joshua Bell, un des meilleurs musiciens sur terre. Il a joué dans ce hall les partitions les plus difficiles jamais écrites avec un Stradivarius de 1713 valant 3,5 millions de dollars. Deux jours avant de jouer dans le métro, sa prestation au théâtre de Boston était « sold out » avec des prix avoisinant les 100 dollars la place.

C’est une histoire vraie. Joshua Bell jouant incognito dans une station de métro a été organisé par le « Washington Post » dans le cadre d’une enquête sur la perception, les goûts et les priorités d’action des gens. Les questions étaient : dans un environnement commun, à une heure inappropriée, pouvons-nous percevoir la beauté ? Nous arrêtons-nous pour l’apprécier ? Reconnaissons-nous le talent dans un contexte inattendu ?

Une des possibles conclusions de cette expérience pourrait être : si nous n’avons pas le temps pour nous arrêter et écouter un des meilleurs musiciens au monde jouant quelques-unes des plus belles partitions jamais composées, à côté de combien d’autres  

Publié dans philosophie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
Moi aussi, je suis Aristotélicien (bien que pas seulement) ! Première étape, perception (écoute de la musique) ; ensuite, vous le dites : « ensuite, par une certaine distanciation commence le travail de la réflexion, de la vérification, de l'épreuve... qui mène à la science, savoir organisé ». Ensuite, donc, autre chose ! Après les sens, l’esprit ! Dans un rapport, je le crois, qui ne nous échappe pas. L’idéaliste ne se désintéresse pas des sensations, mais reconnait l’étape proprement humaine qui va au-delà des sensations, « qui mène à la science » pour Aristote notamment dites-vous, qui étudie les rapports ne tenant précisément pas dans les sens… Il y a donc plus qu’un rapport fraternel, sensible, sentimental, entre musique et perception car la musique est toujours musique des sphères, qu’elle est affaire de concentration sur ces sphères, sur ce monde, peut-être maladive dites-vous, certes, mais surtout affaire de ces sphères consistantes. Bref, toute conversion est spirituelle, personne ne confond bruit et musique, l’enfant et l’autiste tombent dans cette concentration, les commerçants affairés choisissent.
Répondre
D
Je ne crois pas que le rapport musique / mathématique nous échappe ; depuis les Grecs anciens il serait bien décevant et peu probable que nous n’ayons pas fait un progrès d’élucidation… D’ailleurs Platon à son époque avait déjà résolu ce rapport : il y a rapport entre géomètre et philosophe d’une part, rapport entre philosophie et musique d’autre part, donc géométriquement, rapport entre musique et mathématique ! Premier point : c’est un rapport géométrique qui régit le rapport philosophique entre idées ensoleillées et reflété caverneux ; et la conscience agit par un même mécanisme en géométrie et en philosophie de sorte que l’on ne puisse constitutivement entrer en philosophie sans être géomètre. Second point, entre musique et philosophique, il y a rapport concurrentiel : plus que la géométrie des vibrations, il y a cette intelligence immédiate que possèdent tous les deux à parts égales me semble-t-il le géomètre philosophe et le musicien. Il s’agit simplement de cette intelligence fulgurante c'est-à-dire qui ne passe pas par des étapes discursives ou géniale c'est-à-dire qui ne ressent pas ses efforts, celle qui permet de discriminer immédiatement une rectangle d’or ou voir une totalité dans une diversité, mais tout ceci sont des exemples ou arguments parmi d’autres… Je dirais que Kant adopte ensuite cette même conception avec ses mots à lui, en y ajoutant la notion de petite voix qui fait voir immédiatement et sans argumenter par exemple la salle de bal / une clairière ou le système de l’écologie / l’herbe pour la vache. Je persiste : enfants comme Menon et adultes perçoivent esthétiquement les cloisons géométriques c'est-à-dire celles entre consistances.
Répondre
A
<br /> Bonjour,<br /> Etant aristotélicien et non platonicien (pour de nombreuses raisons que je pourrais détailler) et surtout thomiste, il m'est dificile de vous suivre dans vos réflexions -ce qui ne veut pas dire que<br /> vous vous trompiez.<br /> L'adage thomiste 'il n'y a rien dans l'esprit qui ne soit passé par les sens' tirnt zu fondement même de cette Ecole. Platon est un hyperréaliste, Aristote est un réaliste modéré et Kant un<br /> idéaliste. (corrigez-moi, s'il y a erreur)<br /> Pour Aristote ou Thomas d'Aquin, le contact entre le moi et le non moi s'opère en premier lieu par la perception; ensuite, par une certaine distantiation commence le travail de la réflexion, de la<br /> vérification, de l'épreuve... qui mène à la science, savoir organisé.<br /> Je voulais, dans ce cadre, expimer le lien 'fraternel' qui pourraait bien exister entre la musique (une certaine musique) et l'immédiateté de la perception de certains autiste. (à suivre)<br /> <br /> <br />
D
Je me demandais qu’est-ce qu’un philosophe pourrait encore dire de la musique ; voilà que votre histoire nous donne à voir du neuf : la musique propose d’emblée une totalité en un lieu en un temps, une consistance qui nous entoure partout d’où qu’elle vienne et qui donc ne laisse place à rien d’autre qu’elle. <br /> Ainsi, sans doute, les gens de passage dans la rue, afférés, perçoivent bien la musique belle mais ne s’arrêtent pas à sa totalité ; ils n’ont pas le temps, en une occasion inadaptée, d’accéder à une totalité alors qu’ils jouent eux-mêmes aussi leur partie.<br /> Car, étant afférés, ils sont comme autant de consistances en face d’une autre consistance, qu’ils ne peuvent pas laisser les submerger et n’ont l’occasion que de voir le musicien plutôt que la musique. <br /> Et peut-être ne s’arrêtent-ils pas en proportion de la particulière consistance de cet excellent violoniste : peut-être les marchands ont-ils précisément l’exact sentiment esthétique qu’il faudrait consacrer tout leur temps à ce monde et abandonner le leur.<br /> Peut-être regarderaient-ils davantage un jongleur et un danseur de corde : ils les percevraient comme une petite détente.<br /> Les enfants, eux, n’ont pas ce conflit de mondes : ils veulent s’y consacrer tout de suite, sans attendre le bon moment disponible qui mérite les 100 dollars pour pénétrer le monde de la musique.<br /> Je vous remercie pour cette histoire qui témoigne que la totalité doit avoir un lieu.<br /> DéfiTexte : le défi des textes et des commentaires.<br /> defitexte.over-blog.fr
Répondre
A
<br /> Bonjour,<br /> je pense que  les enfants, dont l'esprit n'est pas encore cloisonné, jouissent de l'immédiateté, comme on peut le dire de certains autistes: leur saisie est à la fois totale et profonde.<br /> Depuis les Grecs nous savons que la musique et la méthématique ont des rapports dont le 'ressort' nous échappe<br /> <br /> <br />
J
Bonjour André ,<br /> Super cette idée de blog ! J'espère qu'il t'apportera beaucoup de satisfaction.<br /> J'ai lu cette triste histoire dernièrement. C'est désolant mais il y en a encore qui écoutent de la belle musique, j'en suis sûre. Sans doute même autant qu'avant !<br /> Belle journée à toi ! Moi je cours déjà<br /> Bisou
Répondre